https://laborem.ircom.fr/wp-content/uploads/2019/07/Laborem.jpg

Forces et limites d’un Modèle de Leadership pour la GRH

Depuis une dizaine d’années, beaucoup de grands groupes construisent leur modèle de Leadership, sur la base de compétences et de valeurs qu’ils souhaitent voir se diffuser à travers la chaîne managériale. D’après une directrice d’Université d’entreprise[1], « le Leadership Model, c’est en fait très concret : cela permet de définir ce que l’on attend en termes de comportement de la part de mes dirigeants et managers. C’est un guide de compétences, à un niveau comportemental ».

Pourtant, la diffusion de ce type de modèle rencontre des résistantes, comme l’exprime ce manager expérimenté dans un grand groupe : « Ne nous imposez pas un modèle. Il faut que le leadership parte de nous, de qui l’on est ! ». Il y a là une contradiction dont certains acteurs sont conscients, comme l’indique très justement la coordinatrice du développement du leadership chez EDF, qui a préféré s’affranchir d’un modèle :

« Comment peut-on en plaquer un modèle et en même temps encourager les leaders à développer leurs propres talents ? » [2].

Quels seraient alors l’intérêt et les risques d’un modèle de leadership ?

1. Un modèle de Leadership en RH : dans quel but ?

Le suivi et l’évaluation des managers et dirigeants se fait au final en fonction de leur modèle de leadership, qui revêt donc une grande importance en termes de Gestion des Ressources Humaines. Il permet donc de saisir sur quels critères les leaders sont évalués. En observant les modèles de grands groupes, on peut trouver pour la plupart d’entre eux leur origine dans un des dix articles sur le leadership les plus lus dans le monde, à savoir celui de Kotter (2001) publié dans Harvard Business Review[3]. Cet article distingue le leader du manager selon trois champs, à savoir la vision, l’alignement des équipes et la motivation des collaborateurs.

Le Leader vs. Manager selon Kotter (2001) :

Si le manager doit gérer la complexité en planifiant et budgétisant, (1) le leader donne la direction du changement en développant une vision du futur et les stratégies pour l’accomplir. Si le manager, pour réaliser ses plans, organise et recrute le personnel adéquat, (2) le leader aligne les équipes, c’est-à-dire qu’il communique la nouvelle direction prise à ceux qui seront capables de s’allier autour de cette vision et de s’engager à sa réalisation. Enfin, si le manager assure la réalisation de ses plans par le contrôle et la résolution de problème, (3) le leader réalise sa vision en motivant et en inspirant.

Mais depuis la révolution du digital, un quatrième champ s’est ajouté à cette théorie : l’injonction à l’innovation. Le leader doit aussi être capable d’être innovateur ! Si l’on fait la synthèse de cette théorie avec les modèles que nous avons pu observer, nous obtenons la Figure 1 ci-dessous : Idéaltype du « Leadership Model ».

Le premier champ invite à un exercice du leadership par la capacité d’innovation et à penser en dehors des sentiers battus. Le deuxième concerne la création d’une vision et d’une dynamique entrepreneuriale. Le troisième concerne l’alignement des équipes afin qu’elles coopèrent en leur donnant des objectifs et des moyens. Enfin, le quatrième champ s’intéresse aux besoins des collaborateurs en termes d’autonomie et d’opportunités de développement personnel. Les différents modèles observés reprennent ces champs en les détaillant selon les enjeux stratégiques de l’organisation.

2. Comment un être humain peut-il correspondre à un tel modèle ?

Si les managers et les dirigeants sont effectivement évalués dans leur comportement en fonction de ce modèle, cela pose deux problèmes : est-ce humainement possible ? Si cela ne l’est pas, ne sommes-nous pas face à une promesse narcissique d’un leader totalisant ?

Que nous dit la psychosociologie sur le leadership ?

Beaucoup de programmes de coaching s’appuient sur la réponse à un questionnaire psychométrique, comme le MBTI[4]. Ce dernier se fonde sur la typologie de Carl Gustav Jung. D’après lui, l’être humain oriente son agir selon son type de fonctionnement dominant, en articulant des opposés, dans une tension créatrice[5].

D’autres outils plus récents comme le profil « Talents – TLP-Navigator », combinent les préférences psychologiques en fonction des rôles dans une organisation de travail, que Meredith Belbin a définis. Cela donne quatre grands champs d’exercice du leadership, déclinées en huit fonctions du travail dans une organisation.

Notons que l’on retrouve une correspondance avec les quatre dimensions du modèle type de développement du leadership de la figure 1 : en jaune la dimension innovation, en rouge la dimension vision, en bleu la dimension d’alignement des équipes et en vert celle du soutien et de la motivation.

Mais la typologie de Jung apporte une nuance fondamentale : de par son fonctionnement par opposés, un être humain ne peut être complètement à l’aise sur les deux opposés en même temps. Par exemple il ne peut être fondamentalement extraverti et en même temps fondamentalement introverti : il est plus à l’aise sur un pôle, ce qui ne l’empêche pas de s’aventurer sur l’autre.

La personnalité ne peut recouvrir tous ses opposés. En se développant, elle s’oriente dans un sens pour agir consciemment.

Ce fonctionnement par opposés répartit ce qu’on appelle les préférences et les talents dans le travail selon les fonctions dans le travail. On ne peut donc tout être en même temps, comme le montre l’exemple ci-joint : ce profil aura tendance à se consacrer avec passion à la mobilisation autour d’une vision et beaucoup moins au soutien des individus.

Nous en déduisons qu’un être humain ne peut avoir tous les talents en même temps. Il est donc humainement impossible d’être évalué pour correspondre à tous ces champs.

En quoi consiste alors le talent d’un leader ?

Si un leader ne peut s’épanouir complètement dans toutes les fonctions d’une organisation, il peut en revanche développer sa zone d’apprentissage. Dans l’exemple ci-dessus, il peut renforcer ses capacités de vision mais aussi aller vers sa zone d’inconfort, dans l’attention aux autres, le soutien dans l’activité, etc. Le leader est appelé à s’aventurer sur sa zone d’inconfort pour mieux se connecter aux autres, en fonction de la situation. C’est là qu’il peut se développer en tant que leader.

En conclusion

Un leader est amené et appelé à renforcer son talent et à se connecter à celui des autres pour les faire travailler ensemble. Mais il serait non fondé scientifiquement et fondamentalement injuste d’évaluer ses compétences individuelles sur l’ensemble de ces fonctions, sur tous ces champs. Une évaluation efficace devrait partir des talents du leader, en fonction de son contexte, pour mesurer sa capacité à bien se connecter aux talents de son équipe et à les valoriser. C’est dans ce sens qu’un modèle de leadership peut être pertinent.

[1] Entretiens rendus anonymes, conduits sur la période de mars à mai 2015

[2] Entretien du 11 février 2015

[3] Kotter, J. P. (2001). « What leaders really do », Harvard Business Review, Vol. December 2001.

[4] Le Myers Briggs Type Indicator (MBTI) est un outil d’évaluation psychologique déterminant le type psychologique d’un sujet, suivant une méthode proposée en 1962 par Isabel Briggs Myers et Katherine Cook Briggs.

[5] NB : je ne souscrits pas personnellement à toute la vision de Jung sur l’être humain. Toutefois, sa typologie par opposés a été reprise et étayée scientifiquement. Selon lui, ces opposés constituent quatre grands couples ou modalité d’orientation de la conscience : la modalité d’orientation vers le monde extérieur ou le monde intérieur, soit « extraversion-introversion », la modalité cognitive à savoir « sensation-intuition », la modalité de la décision « raisonnement-sentiment», et enfin la modalité de l’action « structure-flexible ». L’intérêt de l’approche jungienne ne réside pas seulement dans cette typologie, mais aussi et surtout dans sa capacité à prendre en compte les tensions, la dynamique de la personnalité.

>> En savoir plus sur la certification TLP 

Article rédigé par Benjamin Pavageau (Directeur de la Chaire Leadership et don)